- Lisa Otjacques
Seconde réponse de Mathias
Dernière mise à jour : 24 juin 2020
Jour du déconfinement, le 11 mai 2020, Mathias m'envoie un mail.
"Je ne pouvais pas ne pas écrire une seconde lettre, je vous la joins ci dessous."

©Lisa Lesourd
"Je veux voir, des films de la Nouvelle vague, en regardant le pop corn voleter du siège de cinéma, assister à des représentations de Macbeth..."
Je veux oublier le sens de mes promenades. Je veux que Paris retrouve ses allures de confidences et d'horizon perdu, pouvoir y lire dans le vacarme Edgar Allan Poe, que "mon âme au milieu d'un flamboyant vertige puisse se sentir défaillir et rouler".
Je veux des mythes pour les réels impensables, des ivresses colossales et léthargiques, entendre l'écho d'une parole sur une mer désertée. Je veux danser, paupières fermées, sur le son de la guitare slide de Trout Mask Replica, demeurer fidèle à ma fragilité. Je veux une imagination que je ne posséderai jamais mais qui serait déjà perdue. Je veux voir, des films de la Nouvelle vague, en regardant le pop corn voleter du siège de cinéma, assister à des représentations de Macbeth, où "le sourd oreiller recevra les confidences des consciences souillées". Je veux révéler un mystère dans une eau de pluie, un ciel bleu azur ou quelques cumulus perdus, flotter fragile, à l'éblouissement d'une liberté vide. Je veux oublier mes clefs sur la porte de mon appartement, que mon plafond s'écroule, que mon parquet gondole, inonder une cage d'escalier pour un défaut de raccordement, faire couler un café en oubliant d'y mettre un filtre et de l'eau. Je veux des rêves étranges, des sortilèges, des secondes fiévreuses, que mes empreintes s'y effacent dans un feu de lumière. Je veux penser qu'un je ne sais quoi puisse me distraire, garder une lueur incertaine et un désir indemne. Je veux des odeurs tièdes de pomme et de vanille, des mots de Cocteau, avoir " la nuit contre mon cou", me saper à l'envers et être certain de ne pas avoir de but. Je veux garder mes cheveux ensauvagés, courir après une bogue de marronnier, me rejoindre là où je me sépare. Je veux entendre sourdre la sève sous un ciel nocturne, que "la rage d'aimer donne sur la mort comme une fenêtre sur cour". Bonne journée, Mathias