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  • Lisa Otjacques

Réponse de Tristan

Tristan Choisel est auteur de théâtre contemporain, il a notamment écrit Coaching littéraire et D'avoir pleuré à l'hypermarché. C'est mon amie Blandine Bonelli qui lui a parlé de "Chers inconnus". Vision du confinement par l'écriture et la voix de Tristan Choisel.


©Lisa Lesourd

" (...) Et je guette sur Internet tous les signes qui pourraient laisser penser que, lorsque le virus se sera éteint, les gens ne vont pas accepter de reprendre leur vie d’avant (...) "


Si ce coronavirus était un autre coronavirus, si c'était un coronavirus qui exige de passer le moins de temps possible chez soi et de rencontrer le plus de gens possible, ça serait peut-être plus profitable pour moi. Parce que, confiné et seul, je l’étais déjà, beaucoup trop. Cela dit, si je passais tout mon temps en dehors de chez moi et que je rencontrais plein de monde, je ne pourrais presque plus écrire. Ça ne ferait pas non plus mon affaire. Donc j’essaye de me satisfaire de la situation, telle qu’elle est, tout comme j’essayais avant ce confinement de me satisfaire de n'importe quelle autre situation qui ne pouvait pas être changée.

J’essaye de me satisfaire, pour toute animation, de celle qu’il y a en face de chez moi, à savoir l’animation de la police municipale, puisque j’habite en face de la police municipale et que celle-ci en ce moment a des choses à faire. Une médiathèque peut-être serait davantage dans mes goûts, mais elle serait fermée.

J’essaye de me satisfaire, pour mes sorties biquotidiennes dans le kilomètre de rayon qui m’est imparti, d’une friche agricole qui sera prochainement construite mais ne l’est pas encore. Les fleurs, les quelques insectes et les quelques oiseaux qui ont survécus au capitalisme industriel m’y font office de gens – et on y rencontre aussi parfois des gens, qui promènent par exemple le chien, on se dit bonjour.

J’essaye de me satisfaire des échanges par téléphone, par emails et par messagerie instantanée.

Et je guette sur Internet tous les signes qui pourraient laisser penser que, lorsque le virus se sera éteint, les gens ne vont pas accepter de reprendre leur vie d’avant, qu’ils ne vont plus accepter de travailler à ce point, de s’entretuer à ce point sur les routes, de s’exploiter à ce point les uns les autres, de polluer à ce point, d’épuiser à ce point cette planète, qu’ils ne vont pas vouloir d’un retour à la normale. Mais j’ai bien peur qu’ils y soient contraints, j’en ai bien peur. Et ça, je vais avoir bien du mal à m’en satisfaire. Pour tout dire, ça n’est pas le confinement qui m’est le plus pénible. Ce qui m’est le plus pénible c’est de savoir que les gens vont être contraints de reprendre un rythme de vie qu’il ne faudrait surtout pas reprendre. Ils vont y être contraints parce que les forces en face sont colossales, et elles sont au pouvoir… A moins que… A moins que je me trompe… A moins qu’on se dirige vers un refus massif… Je l’appelle de mes vœux, du fond du cœur et du fond de mon confinement.


Tristan Choisel


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