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  • Lisa Otjacques

Réponse de Célia

Nous ne sommes pas tous égaux face au confinement. Les inégalités sont encore plus criantes en ces temps étranges. Confinée dans un appartement exiguë, peu importe, Célia Maillet-Rodriguez a sa propre richesse ; son palais intérieur à qui elle a pris le temps de rendre visite. Voici son bilan et ses révoltes.


©Lisa Lesourd


"Je déambule dans les couloirs, m'arrête sur des détails que j'avais ignorés jusque là. C'est dans la cuisine, par exemple, que je redécouvre mon corps... "




Cher/e inconnu/e, Voilà bientôt 40 jours que je suis confinée avec moi même, dans 16m2 parisiens. Mon chez moi est petit, minuscule, rikiki, les gens me plaignent. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que j'ai accès à un château méconnu, un monument immense, insoupçonné par le reste du monde. S'ils le connaissaient peut-être le mépriseraient-ils. Car mon vrai refuge je l'ai trouvé là où ils ne le cherchent pas. Je m'aventure dans les recoins de mon esprit, je me glisse dans les interstices, et j'y découvre mon for, à l'intérieur. Mon palais mental est immense, je n'en ferai jamais le tour. Mais j'y ai trouvé des espaces où j'ai de la place. J'y suis libre, paisible, en paix. J'y cohabite avec moi même. Dans chaque pièce, je redécouvre une facette acquise au cours des années que je prend plaisir à aller visiter. Dans le salon, il y a la résilience. Ce moi qui a vécu drames et bonheurs et qui me rassure : "Tout passe, crois-moi, ça aussi". Dans la chambre, l'amour propre et l'estime de moi même, des jumeaux qui m'apprécient, aiment passer du temps avec moi. Mais c'est vrai que je préfère ne pas m'aventurer au grenier, car c'est là qu'habite l'angoisse. J'évite d'aller l'embêter : lorsqu'elle se réveille, elle prend ses aises dans tout mon palais, si bien que tout le monde s'enferme dans ses quartiers et me laisse seule avec elle. Je déambule dans les couloirs, m'arrête sur des détails que j'avais ignorés jusque là. C'est dans la cuisine, par exemple, que je redécouvre mon corps. C'est fou comme j'avais oublié que c'est là que ma relation avec lui commence.  Dans le palace de mon esprit, je découvre des pièces insoupçonnées. Derrière de lourdes portes d'introspection, se dissimulent des trésors difficiles à débusquer. J'avais tenté de cacher l'empathie dans un grand coffre à la cave. Avec un tas d'autres bibelots qui ont le don de me faire des pincements au coeur quand je tombe dessus : la nostalgie, et les remords en premier. Et puis finalement, j'ai décidé de la faire cohabiter avec la révolte. Elles ont carrément emménagé au rez-de-chaussée, à côté du cœur, avec vue sur la rue, et vis à vis avec les voisins. Lorsque elles entendent qu'une femme a été tuée par un compagnon ou ex-compagnon, que les violences conjugales explosent ; et que dans un autre palais, qui s'appelle l'Elysée, elles sont refourguées à la cave... alors qu'on nous avait promis une chambre avec vue ! Avec la colère, elles se rejoignent et grondent. Elles me poussent à agir. Alors certains diront que mon palais est trop grand. Que s'en est indécent. Que bien des gens n'ont pas accès à ce luxe en temps de confinement. Ils doivent continuer à travailler, ils ont des enfants... Certains n'ont même pas de vraie maison alors aller chercher leur manoir intérieur, ils s'en carrent. Et puis à quoi ça ressemble, l'esprit d'une femme, c'est pas franchement la priorité d'une société gangrenée de patriarcat. Je devrais m'occuper de la façade extérieure selon certains. J'ai arrêter de me maquiller, je ne fais pas très envie. Je ne suis pas les injonctions à faire du fitness chez moi. Je ne chasse plus les poils sur mes mollets sous la douche. A la fin du confinement personne ne va vouloir s'approcher de cet extérieur délabré ! Et pourtant, moi, je ne me suis jamais autant aimée, désirée, pardonnée, que confinée, tournée vers l'intérieur plutôt que l'extérieur. Je leur ôte le pouvoir à ces pourfendeurs du relâchement et de la bienveillance ; et je me le rend, rien qu'en me baladant un peu dans mon monument cérébral. C'est vrai que c'est une quête égoïste, mais salvatrice. Je me pousse à aller chercher dans les recoins mal éclairés, les placards fermés à double tour. Parfois j'y trouve des conflits non résolus. Mais aujourd'hui, j'ai le temps de m'assoir pour discuter. Face à face avec les doutes, les complexes, les phobies, j'ai le temps d'argumenter, j'ai le temps de disséquer, de détruire, et reconstruire. J'ai le temps ! Le temps et l'espace de me redécouvrir, là, plongée en moi, dans mon château érigé à la gloire de moi même. Et toi, il ressemble à quoi ton palais intérieur ?

Célia Maillet-Rodriguez



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