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  • Lisa Otjacques

Réponse de Théodore

Dernière mise à jour : 3 mai 2020

"Nous sommes en guerre". Théodore Bourdeau, l'auteur de Les petits garçons publié aux Editions Stock, devenu soldat confiné, nous questionne depuis sa tranchée version 2020.


©Lisa Lesourd


" Je me suis toujours demandé quelle serait la tranche d'histoire de ma génération ? Quelle sera ma guerre ? "



Chers confinés,

Chers Nous,

Je vis ma première guerre, le président l'a dit comme ça.

Premier constat : on a l’Histoire que l’on mérite.

Ma guerre, notre guerre, nous oblige à rester chez nous dans une léthargie teintée de peur lâche. Une peur en intérieur. Ta tranchée, ma couette. C’est une guerre lasse et molle, avec les aisselles qui puent, mais juste un peu. Une guerre de paresse, où l’on cherche l’adrénaline dans tous les interstices d’un quotidien répété ad-vomitum : espérer l’immunité collective, s’indigner de la pénurie de masques, faire des gâteaux et des abdos… Tout s’estompe et on se fatigue à ne rien faire. On prend du bide en se crevant à faire de la gym. C'est une guerre d'homo festivus, avec des apéros virtuels et des frissons quand on va faire ses courses. C'est une guerre avec les héros que l’on mérite. Des héros qui font seulement leur boulot. Des boulots mal payés, qu'on applaudit avec hypocrisie et un peu d'embarras tous les soirs. Les éboueurs répondent à nos "Hourra !" avec une grimace que l'absence de masques ne camoufle même pas.

Je me suis toujours demandé quelle serait la tranche d'histoire de ma génération ? Quelle sera ma guerre ? Pour nous, chers confinés, ce sera donc ce monde mis à l'arrêt pendant quelques mois. Ma photo en pyjama qui rivalise avec celle des soldats entassés dans les trous d'obus trempés de Verdun.

Oui, on a vraiment l'Histoire que l'on mérite...

Second constat : il y aura des séquelles. 

Des centaines de milliers de morts, des millions de nouveaux pauvres. Une pagaille de problèmes à régler et de tristesses à digérer. Il y aura aussi la nostalgie de ce moment bizarre, ce temps gluant, ces trajets sur des routes vides, ces quelques instants de beauté retrouvée.

Mais ce qui fait le plus mal, c’est une idée qui vient parfois, qui nous nargue, qui nous hante : et si notre monde avait été pris d’hystérie ? Et si, comme dans une crise d’angoisse, nous avions été mangés par une convulsion qui interrompt tout. Une terreur qui dirait beaucoup de l'état de panique dans lequel nous étions déjà. Et si le virus n’était qu’un prétexte ? Et si nous avions mis ce monde à l'arrêt parce que nous sentions bien qu'il n'avait aucun sens ? Découragés, car incapables de le changer, ce monde.... 

Et si nous n'avions été capables que de ça : tout arrêter, dans un mouvement de résistance immense et incohérent, pendant que le ciel retrouvait un bleu presque naturel.

Alors, qu’allons-nous faire de ce monde et de ce nouveau ciel ?

Notre histoire sera-t-elle molle et paresseuse, à notre image ?

Retiendrons-nous seulement ces apéros virtuels et ce gras au bide supplémentaire ?

Chers confinés, serons-Nous à la hauteur de notre guerre ?


Théodore Bourdeau

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