- Lisa Otjacques
Réponse de Muriel
Comme Lucette, j'ai rencontré Muriel au téléphone. Elle s'est inscrite aux lectures "Au creux de l'oreille", projet initié par Wajdi Mouawad, où nous sommes plus de 200 comédiens à appeler les personnes intéressées, pour leur lire du théâtre, des poèmes... Je compose son numéro, Muriel décroche, elle attendait cet appel toute la journée. Elle a l'accent joyeux et chantant du Sud. Je lui lis plusieurs textes, dont des poèmes de Pessoa, et ma lettre en l'invitant à me répondre, chose qu'elle accepte...

©Lisa Lesourd
" Hier j’ai eu du mal à raccrocher le combiné du téléphone à grosses touches. Nous nous sommes décrochées Lisa. "
Il est 4h du matin, il pleut très fort.
Je suis en pyjama pilou-pilou.
Mon compagnon rêve.
J’ai barjoté, tourné et me suis retournée.
Je me lève et éteins « culture média » en podcast à la radio.
Chère Lisa,
Ma réponse :
Je prends le « Vsign » de chez Pilot pour pouvoir écrire et lire ou relire.
Hier j’ai eu du mal à raccrocher le combiné du téléphone à grosses touches.
Nous nous sommes décrochées Lisa.
Mon compagnon a enlevé son casque audio et m’a regardée pleurer à chaudes larmes J’ai pleuré Lisa, votre talent m’a bouleversé.
Pourquoi tu pleures ? Pourquoi pleures-tu ?
Je pleure ma journée, je me lâche, je déconfine mon cerveau, le covid 19 (Ils auraient pu trouver une autre année, je porte la numéro 19 en parfum !), je pleure mes triplettes…
« Philou je suis touchée, j’ai rencontré une écrivaine. »
Lisa, je suis allée au théâtre hier soir, dans le vôtre, et m’y suis bien plu : il me manquait juste le crissement des caramels mous dépiotés par les anciens abonnés et le toussotement général (quelque fois une cacophonie générale qui cesse dès que le spectacle commence…).
Je suis malvoyante, le champ visuel est très rétréci, mais la pensée et l’imagination restent élargis, les autres sens se sont développés ; je touche plus, je papouille plus, et j’entends beaucoup plus :
Au creux de mon oreille, entre le marteau et son enclume s’est glissée votre plume Lisa : j’attendais une comédienne, j’entendais au creux de mon oreille votre voix posée, douce, passionnée, j’ai écouté un écrivain, une écrivaine comme vous le souhaitez bien.
Les mots, vos mots, mes maux.
Vous m’avez touchée, déstabilisée du cocon, apaisée.
Vous m’avez dit être du signe de la balance, mes triplettes à moi (mes amies Cricri, Marie-Pierre et Martine) elles ont le cancer, elles ne se connaissent pas, elles se battent en même temps depuis 3 ans contre cette merde. A côté, le covid semble être à mes yeux, un petit joueur.
Hier, elles avaient toutes les 3 un rendez-vous auprès d’un oncologue.
Le hasard du calendrier qui fait mal les choses et qui fait que j’ai craqué toute la journée. Hier vous m’avez sauvée, j’étais paniquée. La triplette est forte, elle se bat.
Dans mon labyrinthe, je vous ai écoutée, au creux de mon oreille interne.
Je vous ai imaginée… le bouquet de Pessoa sur votre table, les roses mélangées aux œillets que je vous ai offerts cette nuit.
Lisa, comment vous aider pour que nous puissions vous lire sur papier, un bouquin, un recueil des échanges avec les chers inconnus ?
Je sais ! Je peux écrire à mon FFFB* maintenant mais que j’écoute quand il est au salon avec David F, Daniel P, ou qu’il interroge Toni Morrison à l’autre bout de la planète.
J’ai appris le braille Lisa, je connais et lis un peu le papier très épais.
Quand vous serez connue Lisa, pensez à faire imprimer en gros caractères vos écrits, votre poésie et continuez à nous raconter en audio, le tactile des tablettes c’est froid, le livre on le feuillette, cela fait du bruit, on le pose où on veut, on le reprend quand on veut.
Au creux de mon oreille hier Lisa j’ai entendu votre écriture et écouté vos sentiments, c’était très beau.
Cette nuit il pleut je ne peux plus voir les étoiles dans le ciel mais je viens de décrocher « La nuit étoilée » de Vincent Van Gogh au MOMA et vous ai envoyé la toile, du moins ses étoiles.
Les avez-vous reçues ?
PS : FFFB* = Faux Fiancé François Busnel
Il est 4 h45.
Affectueusement,
Muriel