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  • Lisa Otjacques

Réponse de Blandine

Dernière mise à jour : 6 mai 2020

"J'oscille entre la bassine à confitures et la révolte intérieure".

Récit du confinement de l'autrice de théâtre contemporain, Blandine Bonelli, dont ses écrits Défaillances et L'anomalie ont été sélectionnés aux EAT.


©Lisa Lesourd



"Cet après-midi, la pluie et dans l’escalier de mon immeuble, l’odeur de la grande maison familiale de mon enfance un soir d’été pluvieux. "



Confinement vous dites ? Au début ça sonnait comme quelque chose de vieillot et rassurant, conserve et bassines à confitures, confit de canard tout arrosé de gras de nos grands-mères.

En réalité le bain de mes pensées est toujours en éveil malgré mon corps et le temps qui s’amollissent et se laissent couler. Comme on s’y enfonce… confinée je l’étais déjà avant,  parce-que la vie m’avait dit de me préserver du monde extérieur, ce monde que je trouvais fou et d’autant plus fou que j’étais folle parmi les fous. Alors ce confinement généralisé, c’était d’abord une insulte à mon confinement intérieur. Comment ça, juste au moment où j’accepte de me confiner dans le gras du canard pour ne plus voir le monde ne pas tourner rond, voilà que le monde aussi se confine et arrête de tourner ?

Au moment où je perdais tous mes repères, voilà que la planète effaçait tous les siens, les tangibles, ceux auxquels on faisait semblant de croire pour ne pas mourir et ceux auxquels déjà je ne croyais plus, me voyant mourir. Je me révoltais contre ce mauvais tour que me jouaient les éléments. A quoi ça sert que je me confine si on est tous confinés ? Comment je peux encore dire que ça ne tourne pas rond si le monde est à l’arrêt ? Je passe pour quoi moi ? Une arriviste?

Alors depuis deux mois j’oscille, entre le sucré rassurant de la bassine de confiture et la révolte intérieure, à la fois protégée du monde par ce confinement en même temps que lui s’expose à moi parce-qu’il est confiné. Et il s’expose, comme je le pressentais. Avec tout son insupportable et sa misère déployée. Moi qui pensais que c’était l’ascenseur social qui avait dégringolé et qui nécessitait seulement d’être réparé, voilà que l’immeuble entier s’écroule et laisse apparaître des soubassements bien plus terribles que ceux que j’imaginais. Tout a été rongé, des piliers les plus solides ne restent que quelques pierres disloquées, le reste ayant été détruit, vendu, ou pire : le reste ayant été oublié.

Cet après-midi, la pluie et dans l’escalier de mon immeuble, l’odeur de la grande maison familiale de mon enfance un soir d’été pluvieux... le bruit de mes pas qui claquent, comme autrefois quand je descendais les escaliers de la chambre du second pour rejoindre le grand jardin en espaliers.

Je ferme les yeux et pendant quelques secondes j’y suis : cette grande maison et ces mois d’été confinés et languissants, qu’ils me paraissent loin… Ils sont tout près, pourtant.


Blandine Bonelli


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